La moisson imparfaite

La moisson imparfaite

Par Vern P. Stanfill

des soixante-dix

Quand j’étais jeune, j’ai appris à aimer les changements radicaux qui se produisaient au fil des saisons de l’année dans le sud-ouest du Montana, où j’ai grandi. Ma saison préférée était l’automne, l’époque de la moisson. Notre famille espérait que nos mois de dur labeur seraient récompensés par une moisson abondante et priait pour cela. Mes parents se souciaient de la météo, de la santé des animaux et des cultures, et de beaucoup d’autres choses sur lesquelles ils avaient peu de contrôle.

En grandissant, j’ai pris de plus en plus conscience du caractère crucial de la situation. Notre subsistance dépendait de la moisson. Mon père m’a montré comment utiliser l’équipement nécessaire à la récolte du blé. J’observais tandis qu’il déplaçait la machine agricole dans le champ et fauchait une étroite bande de céréales. Il jetait ensuite un coup d’œil derrière la moissonneuse-batteuse pour s’assurer qu’autant de blé que possible atterrissait bien dans le réservoir de stockage et qu’il n’était pas rejeté avec la paille. Il répétait cet exercice plusieurs fois, réglant la machine à chaque fois. Je courais à côté et fouillais dans la paille avec lui en faisant semblant de savoir ce que je faisais.

Une fois, alors qu’il était satisfait des réglages de la machine, j’ai trouvé des grains de blé dans la paille sur le sol et je les lui ai présentés d’un air critique. Je n’oublierai pas ce que mon père m’a dit : « C’est suffisant et c’est le mieux que cette machine puisse faire. » Son explication ne répondant pas à mes attentes, j’ai médité sur les imperfections de cette moisson.

Peu de temps après, quand le temps s’est refroidi en soirée, j’ai regardé des milliers d’oiseaux migrateurs – des cygnes, des oies et des canards – descendre dans les champs pour se nourrir pendant leur long voyage vers le sud. Ils mangeaient les grains restant de notre moisson imparfaite. Dieu l’avait rendue parfaite. Et pas un grain n’avait été perdu.

Dans notre monde et même dans la culture de l’Église, nous sommes souvent obsédés par la perfection. Les réseaux sociaux, des attentes irréalistes et même notre auto-critique créent un sentiment d’inaptitude, nous donnant l’impression que nous ne sommes pas assez bons et ne le serons jamais. Certains se méprennent même sur l’invitation du Sauveur : « Soyez donc parfaits1. »

N’oubliez pas que le perfectionnisme n’est pas la même chose que d’être rendu parfait en Christ2. Le perfectionnisme a pour effet de nous imposer à nous-mêmes des normes impossibles à satisfaire et qui nous comparent aux autres. Cela cause de la culpabilité et de l’anxiété, et peut nous conduire à vouloir nous mettre en retrait et nous isoler.

Être rendu parfait en Christ est autre chose. C’est le processus consistant à devenir davantage semblable au Sauveur, en étant guidé avec amour par le Saint-Esprit. Les normes sont fixées par notre Père céleste bon et omniscient, et clairement définies dans les alliances que nous sommes invités à contracter et à respecter. Cela nous soulage des fardeaux de la culpabilité et de l’inaptitude, en mettant toujours l’accent sur qui nous sommes aux yeux de Dieu. Bien que ce processus nous élève et nous pousse à devenir meilleurs, nous sommes mesurés à l’aune de notre dévotion à Dieu, qui se manifeste dans nos efforts pour le suivre avec foi. Lorsque nous acceptons l’invitation du Sauveur à venir à lui, nous prenons rapidement conscience que notre mieux est suffisant et que la grâce de notre Sauveur aimant comble la différence d’une manière que nous ne pouvons imaginer.

Nous voyons ce principe en action lorsque le Sauveur nourrit cinq mille personnes.

« Ayant levé les yeux, et voyant qu’une grande foule venait à lui, Jésus dit à Philippe : Où achèterons-nous des pains, pour que ces gens aient à manger ? […]

« Philippe lui répondit : Les pains qu’on aurait pour deux cents deniers ne suffiraient pas pour que chacun en reçoive un peu.

« Un de ses disciples, André, frère de Simon Pierre, lui dit :

« Il y a ici un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour tant de gens3 ? »

Vous êtes-vous jamais demandé ce que le Sauveur a pensé de ce jeune garçon qui, avec la foi d’un enfant, a offert ce qu’il devait savoir être très insuffisant au regard de la tâche à accomplir ?

« Jésus prit les pains, rendit grâces et les distribua à ceux qui étaient assis ; il leur donna de même des poissons, autant qu’ils en voulurent.

« Lorsqu’ils furent rassasiés, il dit à ses disciples : Ramassez les morceaux qui restent, afin que rien ne se perde4. »

Le Sauveur a rendu parfaite l’humble offrande.

Peu après cette événement, Jésus a envoyé ses disciples au-devant de lui dans une barque. Bientôt, ils se sont retrouvés sur une mer agitée, au milieu de la nuit. Ils ont pris peur quand ils ont vu ce qu’ils ont pris pour un fantôme, marchant vers eux sur l’eau.

« Jésus leur dit aussitôt : Rassurez-vous, c’est moi ; n’ayez pas peur !

« Pierre lui répondit : Seigneur, si c’est toi, ordonne que j’aille vers toi sur les eaux.

« Et il dit : Viens ! Pierre sortit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus.

« Mais, voyant que le vent était fort, il eut peur ; et, comme il commençait à enfoncer, il s’écria : Seigneur, sauve-moi !

« Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté5 ? »

Frères et sœurs, la conversation ne s’est peut-être pas arrêtée là. Je crois que, tandis que Pierre et le Sauveur marchaient côte à côte vers la barque, Pierre tout trempé et se sentant peut-être très stupide, le Sauveur a probablement dit quelque chose comme ceci : « Oh, Pierre, ne crains pas et ne t’inquiète pas. Si tu pouvais te voir comme je te vois, tes doutes disparaîtraient et ta foi augmenterait. Je t’aime, cher Pierre ; tu es sorti de la barque. Ton offrande est acceptable et, bien que tu aies chancelé, je serai toujours là pour te tirer des profondeurs, et ton offrande sera rendue parfaite. »

Dieter F. Uchtdorf a expliqué :

« Je crois que le Sauveur, Jésus-Christ, voudrait que vous voyiez, sentiez et sachiez qu’il est votre force. Qu’avec son aide, il n’y a pas de limites à ce que vous pouvez accomplir. Que votre potentiel est illimité. Il voudrait que vous vous voyiez comme il vous voit, ce qui est très différent de la manière dont le monde vous voit. […]

« Il donne de la force à ceux qui sont fatigués et augmente celle de ceux qui se sentent impuissants6. »

Nous ne devons pas oublier que, quelle que soit notre meilleure mais imparfaite offrande, le Sauveur peut la rendre parfaite. Quelque insignifiants que nos efforts puissent paraître, nous ne devons jamais sous-estimer le pouvoir du Sauveur. Avec l’aide du Sauveur, un simple mot gentil, une visite de service pastoral brève mais sincère ou une leçon de la Primaire enseignée avec amour peuvent apporter du réconfort, adoucir des cœurs et changer des vies éternelles. Il est possible que nos efforts maladroits produisent des miracles et, par là même, nous pouvons participer à une moisson parfaite.

Nous sommes souvent placés dans des situations qui nous poussent à nous dépasser. Nous pouvons avoir l’impression de ne pas être à la hauteur. Nous pouvons regarder les personnes avec lesquelles nous servons et avoir l’impression que nous ne serons jamais à leur niveau. Frères et sœurs, si vous avez cette impression, regardez les hommes et les femmes extraordinaires assis derrière moi et avec lesquels je sers.

Je ressens votre douleur.

Mais j’ai appris que, de même que le perfectionnisme n’est pas la même chose que d’être rendu parfait en Christ, de même se comparer aux autres n’est pas la même chose que les imiter. Lorsque nous nous comparons aux autres, cela ne peut produire que deux résultats. Soit nous nous considérons meilleurs que les autres et commençons à les juger et à les critiquer, soit nous nous considérons inférieurs aux autres et devenons anxieux, critiques à notre égard et découragés. La comparaison avec les autres n’édifie pas. Elle est rarement productive et parfois carrément déprimante. En fait, ces comparaisons peuvent être spirituellement destructives, nous empêchant de recevoir l’aide spirituelle dont nous avons besoin. En revanche, imiter les personnes que nous respectons et qui manifestent des vertus chrétiennes est instructif et édifiant, et nous aide à devenir de meilleurs disciples de Jésus-Christ.

Le Sauveur nous a donné un modèle à suivre en imitant le Père. Il a dit à son disciple Philippe : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne m’as pas connu, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père ; comment dis-tu : Montre-nous le Père7 ? »

Puis il a dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais8. »

Quelque insignifiants que nos efforts puissent paraître, si nous sommes sincères, le Sauveur nous utilisera pour accomplir son œuvre. Si nous faisons simplement de notre mieux et lui faisons confiance pour combler la différence, nous ferons partie des miracles qui nous entourent.

Dale G. Renlund a dit : « Vous n’avez pas besoin d’être parfaits, mais nous avons besoin de vous, car toute personne bien disposée peut faire quelque chose9. »

Le président Nelson nous enseigne : « Le Seigneur aime les efforts10. »

Le Sauveur se tient prêt à accepter nos humbles offrandes et à les rendre parfaites par sa grâce. Avec le Christ, il n’y a pas de moisson imparfaite. Nous devons avoir le courage de croire que sa grâce est pour nous, qu’il nous aidera, nous sauvera des profondeurs lorsque nous faiblirons et rendra parfaits nos efforts moins que parfaits.

Dans la parabole du semeur, le Sauveur décrit les semences qui sont plantées dans la bonne terre. Elle donne du fruit, un grain en donne cent, un autre soixante, un autre trente. Ils font tous partie de sa moisson parfaite11.

Le prophète Moroni a lancé une invitation à tous : « Oui, venez au Christ, et soyez rendus parfaits en lui, […] et si vous vous refusez toute impiété et aimez Dieu de tout votre pouvoir, de toute votre pensée et de toute votre force, alors sa grâce vous suffit, afin que par sa grâce vous soyez parfaits dans le Christ12. »

Frères et sœurs, je témoigne du Christ, qui a le pouvoir de rendre parfaite même notre offrande la plus humble. Faisons de notre mieux, apportons ce que nous pouvons et, avec foi, déposons notre offrande imparfaite à ses pieds. Au nom de celui qui est le Maître de la moisson parfaite, Jésus-Christ. Amen.